La Maison Jansen

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Siège Jansen, rue Royale, vers 1970 © Acanthus Press

La Maison Jansen est une maison française de décoration d’intérieur et de production de meubles, fondée à Paris, en 1880, par le Duc hollandais Jean-Henri Jansen. Cette maison bénéficie d’une notoriété conséquente et eut des commanditaires internationaux de grande renommée, durant tout le XXème siècle ce qui lui  permettra de se forger une réputation glamour d’icône de l’ameublement. Mais cette maison, tant par son organisation que par sa manière d’appréhender l’ameublement, va devenir bien plus qu’une référence à la mode ; elle va profondément marquer et influencer l’histoire des Arts Décoratifs.

 

Rentrons dans les ateliers !

 

Les débuts éclectiques de la Maison Jansen

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Jansen tables en console, courtesy of Christie’s © Acanthus Press

 

Le XIX ème siècle en France, en particulier la seconde moitié, est qualifié de siècle de l’« éclectisme » en ce qui concerne les Arts Décoratifs. Une certaine lassitude et un ralentissement dans la création se font sentir rapidement après le Premier Empire et, pour renouveler les Arts Décoratifs, les artistes et artisans se replongent dans les styles passés, qu’ils soient d’une proximité certaine, comme le XVIII ème siècle, ou bien plus lointains, comme l’Antiquité. Ils en réinterprètent les codes, les ornements et n’hésitent pas à mélanger les différentes sources entre elles. A cela s’ajoute l’émulation créée par Les Expositions Universelles, dont la première édition a lieu au Crystal Palace de Londres en 1851.  Ces manifestations invitent les nations à découvrir des horizons lointains et à inventer les nouveaux procédés industriels au service d’un renouvellement de la création.

C’est dans ce contexte que naît la Maison Jansen en 1880. À sa création, elle se situe dans une dynamique assez semblable à celle des autres maisons d’ameublement de l’époque, comme par exemple la Maison des Bambous (Perret & Vibert) ou l’Escalier de Cristal par les Frères Pannier. Ainsi, ces Maisons s’intéressent aux styles passés qu’elles mélangent avec les nouveautés du moment : au mouvement anglais Art & Craft, le style turc et surtout le japonisme, très en vogue en cette fin du XIXème siècle avec l’ouverture récente du Japon à l’Occident, notamment lors de l’Exposition Universelle de 1867.

L’expansion de la Maison Jansen démarre réellement au tournant du XXème siècle et s’explique par une pluralité de facteurs.

 

Une double production, entre tradition et création

 

La première originalité de la Maison Jansen va être de mener de front la production de deux styles de meubles totalement différents : elle va s’intéresser de très près à un ameublement traditionnel, cherchant à fournir la copie exacte de meubles du XIXème et du XVIIIème siècle. Elle achète de nombreuses antiquités en vente sur le marché et se constitue progressivement une impressionnante banque d’images d’archives pour satisfaire ses ambitions de véracité.

En parallèle, elle va également créer des pièces plus contemporaines, qui vont à la fois allier des formes « historicistes » mais repensées pour un usage plus contemporain et tenant compte des différentes modes qui se succèdent de la fin du XIXème siècle jusqu’au milieu du XXème siècle avec, parmi eux : le style turc, le Japonisme, mais aussi l’Art Nouveau, l’Art Déco ou encore l’Art moderne.

Elle n’hésite pas non plus à collaborer avec des artisans contemporains indépendants, tels que l’ébéniste François Linke, Joseph Emmanuel Zwiener ou Jean-Michel Frank pour la réalisation de pièces uniques destinées à des commandes spéciales ou des expositions déterminées.

 

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Ateliers Jansen de la Rue Saint-Sabin © Acanthus Press

 

Une entreprise d’ameublement au savoir-faire global  

 

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Le paysagiste Russell Page et le Duc de Windsor dans les jardins du Moulin de la Tuilerie près de Paris, 1965, courtesy of Condé Nast Publications © Acanthus Press

Le deuxième atout de la Maison Jansen est sa maîtrise de la chaîne globale de la production de son ameublement. Initialement, pour satisfaire les besoins de sa double production, la firme ouvre des ateliers dans le 16ème arrondissement de Paris : ils déménagent vers 1900 dans les locaux plus connus de la rue Saint-Sabin. Les données relatives à la surface des ateliers – presque 3700 m2 – et le nombre d’employés – jusqu’à 700 personnes au plus fort de son activité vers 1930, sont autant d’éléments qui permettent d’apprécier la prévalence de la Maison Jansen dans le milieu des Arts Décoratifs et de l’ameublement au XXème siècle.

Une quantité aussi foisonnante d’employés dans les ateliers témoigne d’une volonté de la Maison de maîtriser le processus de création du début jusqu’à la fin : du choix de la forme en passant par la fabrication – totale ou par dépeçage et restauration de meubles préexistants – jusqu’à l’aménagement global et la création d’un décor, la Maison Jansen est sur tous les fronts. Ce contrôle global permet à la fois d’assurer la qualité de la production mais aussi de fournir à ses clients une prestation complète, lui garantissant de nombreuses commandes.
En effet, avec l’arrivée de Stéphane Boudin(1888-1967) vers 1920 à la tête de l’entreprise, Maison Jansen se dote d’un nouvel atout : plus que la production de meubles, elle est capable d’organiser de véritables décors entiers, concevant ainsi l’entièreté du décor intérieur d’un appartement.

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Boudin pour Lady Olive Baillie, Salle à manger à Leeds Castle, c. 1935 ©Chensiyuan

 

La captation d’une clientèle d’élite par une stratégie ciblée 

 

Le troisième et dernier tour de force qui participe à la renommée de la Maison Jansen est son organisation structurelle interne, qui couple sa chaîne de production complète à une maîtrise totale de la commercialisation et de la distribution. La Maison Jansen peut travailler en autonomie, ce qui lui permet d’écarter des concurrents plus petits et moins armés ; cela lui permet de travailler sur son image de marque et développer un goût et une manière « Maison Jansen ». Cette identité va être la cible privilégiée de sa communication commerciale.

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Red Room of the White House. Photograph 08 May 1962 © Robert Knudsen, White House, in the John F. Kennedy Presidential Library and Museum.

La firme utilise en effet une stratégie marketing millimétrée à l’international ; elle ouvre de nombreux bureaux et succursales dans toutes les grandes villes susceptibles d’accueillir une clientèle haut de gamme, comme à New York ou Buenos Aires. Elle ouvrira même un autre atelier à Buenos Aires, pour satisfaire la demande. Dans ces galeries elle organise de nombreuses expositions qui lui permettent d’accroître sa visibilité et lui apporter toujours davantage de nouveaux et riches commanditaires.

Parmi ses clients, sans citer une liste exhaustive, le Duc et la Duchesse de Windsor, le Roi Leopold II, le Shah d’Iran mais aussi le couple Kennedy, pour la Maison Blanche !

Au-delà de la fascination qu’elle exerce, la Maison Jansen a su développer un style intemporel, qui semble indémodable ; dans ses deux types de production on retrouve une survivance du meilleur des Arts Décoratifs des périodes passées ; une grande qualité d’exécution et cette habilité à faire corps avec les nouvelles tendances émergentes.

 

Comment reconnaître le mobilier de la Maison Jansen ?

Alain Delon table et fauteuil Jansen Collections

Alain Delon pour Jansen Collections , Table et fauteuils, 1972 © Acanthus Press

Reconnaître le mobilier Maison Jansen n’est pas chose aisée : si certains modèles sont très connus et facilement attribuables à la Maison, d’autres le sont moins. Une certaine confusion est possible, d’autant plus quand on sait que d’autres Maisons dans les années 1970 ont des marqueurs similaires à la création contemporaine de chez Jansen : laiton doré, pommes de pin, chevaux et bambous se retrouvent facilement chez Maison Charles ou encore chez Maison Baguès. Impossible de savoir qui copie qui, et, qui plus est, d’autres firmes moins connues tirent également leur épingle du jeu en adaptant leur production à cette tendance.

Outre la difficulté d’attribution et d’identification du modèle lui-même, la difficulté majeure provient principalement du fait que toute la production de la Maison Jansen n’a pas nécessairement été signée. Cela ne concernerait même qu’une minorité de la production 1.
Cela pourrait s’expliquer tout d’abord par le fait que dans la production spéciale réservée à une élite, Jansen ne souhaitait pas éclipser le commanditaire et le lieu de la commande : la Maison se voyait davantage « comme un assistant du patron » 2 et non pas véritablement comme un décorateur : l’idée de discrétion et de cohérence des intérieurs expliquait peut-être que la production n’était pas signée.

De surcroît, l’élargissement, après les années 1970, de la production avec les « Jansen Collection » de Pierre Deshays ne facilite pas la tâche non plus puisque cette nouvelle production, qui se voulait plus accessible pour un plus grand nombre, était destinée à être customisée par le client lui-même, s’il le désirait. Aussi, le pourcentage même de cette production plus nombreuse n’est pas clair et là encore pas nécessairement signé.

Certains modèles de la Maison sont néanmoins bien connus et répertoriés grâce à des catalogues et même lorsqu’ils ne sont pas signés, l’unicité du modèle et / où sa qualité d’exécution peut permette au professionnel de pouvoir l’attribuer à la Maison sans trop de difficultés !

 

Les mythiques ateliers de la Rue Saint-Sabin de la Maison Jansen ont fermé leurs portes en 1989.

Néanmoins, le nom « Jansen » continue d’exister aujourd’hui, diffusé par Monsieur Alain Peirera. La galerie Jansen est visible à Paris, 23 rue de l’Annonciation.


1 Ici, les arguments repris sont directement ceux avancés par James Archer Abbot dans son ouvrage sur la Maison Jansen, v. pour cela James Archer Abbot, Jansen Furniture, Acanthus Press, New York, 2007, p.20

2 Ibid., traduction littérale en français

 

SOURCES :

ABBOT, J. A. , Jansen Furniture, Acanthus Press, New York, 2007

FROISSART PEZONE, R., L’art dans tout : Les arts décoratifs en France et l’utopie d’un Art nouveau. Nouvelle édition [en ligne]. Paris: CNRS Éditions, 2005 (généré le 28 janvier 2019)